Creating
Future

Future
Singularities

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Julie Dao Duy

Par Julie Dao Duy & Marie Douchet

Ils étaient 20 candidats nominés pour le très prestigieux prix LVMH, et ils ne sont déjà plus que 9. Le jury, composé de grands designers de la maison LVMH (comme JW Anderson, Nicolas Ghesquière ou encore Marc Jacobs) annoncera le lauréat du prix « jeune créateur » en juin prochain. En attendant, zoom sur les coups de cœur Peclers, décryptés ici par notre consultante styliste Marie Douchet.

Repérés lors d’une soirée exceptionnelle où les nominés ont pu présenter leurs collections, ces jeunes créateurs apportent un regard neuf sur les notions de simplicité et d’élégance, mais aussi sur celle du métissage des cultures et des pratiques artistiques. L’idée d’une mode durable, intemporelle, s’affirme. Elle s’accompagne de vrais messages d’amour et de respect.

Matthew Adams Dolan : une nouvelle approche de la simplicité

C’est dans l’Amérique d’aujourd’hui que Matthew Adams Dolan, jeune créateur de 31 ans, puise son inspiration : un vestiaire US composé de jeannerie, veste en denim, t-shirt blanc mais aussi de codes preppy et college, qui s’est largement diffusé hors des frontières. « C’est un vestiaire qui s’est infiltré partout sur la planète et que tous les mouvements culturels se sont approprié » souligne-t-il pour Vogue.

Cet aspect démocratique, loin d’une mode élitiste plus européenne, mais aussi cette dimension sociale, le passionnent. Après avoir étudié en Australie, au Japon puis en Suisse, le créateur obtient le MFA Fashion Design & Social Program de la Parsons School de New York. Il lance peu de temps après, dès la saison Printemps Eté 2016, sa toute première collection. Les contours d’une mode bercée par les influences américaines se dessinent. Le créateur renouvelle les codes du denim et du workwear des années 90, joue avec les proportions, s’autorise les volumes oversize, s’inspire de l’activewear et s’émancipe d’une vision binaire des genres.

Dans sa collection SS 18, le tailoring tradi, aux dimensions exagérées, réinvente une nouvelle silhouette. Sa dernière collection FW 18-19, présentée lors de la Fashion Week de New York, fait l’éloge d’une mode simple mais délicate, portable mais expérimentale dans ses moindres détails. Allant puiser dans le vestiaire quotidien ses pièces les plus classiques, de la simple veste en jean au manteau à carreaux, Matthew Adams Dolan les twiste avec élégance et sobriété. Un geste équilibré et une démarche tranquille, qui instaurent un dialogue engagé entre « high fashion » et mass market.

Botter : Fun, color and love

Des messages de paix, d’amour et d’unité apparaissent en lettering coloré sur les vestes, chemises et casquettes des collections Botter. Derrière ce duo créatif, se cachent deux personnalités dont l’inspiration est nourrie par les voyages et le mix des cultures.

Rushemy Botter, 31 ans, est originaire du Curaçao, mais a grandi et vécu une grande partie de sa vie à Amsterdam aux Pays Bas. Après des études techniques de mode, il poursuit son parcours à l’Académie royale de La Hague puis à l’école des beaux-arts d’Antwerp. Là-bas, il rencontre Walter Van Beirendonck, qui va faire figure de mentor et dont le travail va l’inspirer. De nombreux prix vont couronner ses premières années en tant que créateur, avec notamment le prix Vfiles Runway, un prix Dries Van Noten et le prix de la collection la plus prometteuse du BVBA32 Ann Demeulemeester.

Il lance la marque Botter avec Lisi Herrebrugh, qu’il connait depuis 9 ans. Avec un père néerlandais et une mère dominicaine, elle aussi vit au croisement de plusieurs cultures. Leur collaboration et leur travail est à l’image de cette richesse interculturelle : des collections homme métissées, vibrantes, colorées avec en toile de fond un fort engagement sociétal. La virilité qui s’exprime dans les trois collections qu’ils ont dessiné ensemble est empreinte de douceur et de sensibilité.

Toujours élégant, certes un peu nonchalant, l’homme Botter accumule les couches : casquettes, vestes, tee-shirts se multiplient sur les silhouettes. Les influences caribéennes, les codes hip-hop, l’idée déconstruction et d’expérimentation créent une vraie « dégaine », une identité forte. Et quand celle-ci s’inscrit dans un discours qui prône respect et indulgence, il n’en faut pas plus pour adopter leur vision du monde.

Eckhaus Latta : Entre galerie et atelier

Avec Mike Eckhaus et Zoe Latta, une certaine idée de la mode, à la fois innovante, sculpturale et provoc’, cherche à faire son « show ». Loin de l’idée de performance, mais plus proche de celle d’une collaboration artistique, leurs collections se démarquent par un casting singulier et par l’éloge des corps dans leur plus belle diversité.

Musées, artistes, bijouteries, marques de mode ou de chaussures (comme Nike et Camper)… Dépassant les frontières strictes de leur métiers, Mike Eckhaus et Zoé Latta ont su créer une véritable communauté artistique. Leur rencontre à l’école de design de Rhodes Island, puis leurs parcours respectifs, l’un (Mike) comme designer accessoires pour Marc Jacobs, l’autre (Zoé) en auto-entrepreneuse dans le design textile, collaborant avec Proenza Schouler, Calvin Klein ou Opening Ceremony… et bien sûr leur lien indéfectible avec le monde de l’art (Mike Eckhaus a travaillé pour le studio de l’artiste américain Matthew Barney) ont bercé leurs univers et inspiré leurs collections.

La marque, lancée en 2011, oscille entre essentiels bruts renouvelés, transparence dévoilant la nudité des corps imparfaits, pièces expérimentales en maille et découpes provoc’. Rejetant le concept de mode genrée, ils s’adressent aussi à toutes les physionomies, jouant avec les volumes gonflés aussi bien qu’avec les pièces étriquées. Leur dernière collection FW 18-19, un brin assagie, modernise avec brio les lignes classiques tout en réaffirmant cet intérêt pour une maille expérimentale et des volumes boxy.

Rokh : Faussement classique

Hors du temps. Les trois collections du jeune créateur Coréen Rok Hwang, 31 ans, sont à la fois étranges, sombres et poétiques. Une interprétation unique d’une mode faussement classique, que le jeune homme situe entre « tailoring masculin et fragilité féminine ». C’est à la Central Saint Martins que Rok Hwang étudie la mode et s’imprègne de la scène musicale et artistique du East London. La culture des années 2000 le passionnent.

Après avoir fait ses classes chez Louis Vuitton, Chloé et Céline, sous la houlette de Phoebe Philo, le créateur lance sa marque en 2017.

Jeux d’asymétries, formes modulables, goût pour la structure et don pour la déstabilisation… Rok Hwang nous invite à pénétrer dans un univers parallèle, étrangement familier. Les trenchs et tailleurs, à la fois bruts et sensuels, témoignent d’une vraie maturité créative. Pourtant, le créateur cherche à capturer les doutes et incertitudes de l’adolescence, « avant que cela ne devienne trop parfait, quand c’est un peu surnaturel, brut et inachevé ».

L’élégance classique, un brin nostalgique, du créateur pourrait aussi se décliner au masculin, très prochainement.